C’était
tout un programme lucratif pour les médias traditionnels. Aujourd’hui les
réseaux sociaux leur ont ravi la vedette nécrologique. Il suffit juste qu’une photo, un texte,
fort émouvants, parés de stickers ou émojis passent de statuts en stories.
Comme une traînée de poudre, la nouvelle de la mort d’un parent, d’une
connaissance, d’un ami ou juste d'un inconnu se répand dans le monde virtuel. Avec
le développement
fulgurant du numérique, ce qui était jadis privé devient hors de
contrôle des seules familles éplorées.
« En 2002, on m’a appelé pour
annoncer la mort de ma mère en Guinée. Comme il n’y avait pas beaucoup de
téléphone, la personne qu’on a appelée pour me faire part de la nouvelle a fait
une erreur sur la personne. A vrai dire, il ne s’agissait pas de ma mère
mais de sa coépouse. Très rapidement je me suis préparée et je suis
rentrée en Guinée. Le voyage a duré près de cinq jours et ce n’est qu’au
quatrième jour que j’ai su qu’il ne s’agissait pas de ma mère. »
C’est
à cause de son vécu que Sadio Sow, cette mère de famille de 45 ans vivant à
Thiés, ne nierait pas les avantages des réseaux sociaux.
"Aujourd’hui je ne vois pas
comment de pareils erreurs pourraient se produire, pratiquement tous les
jeunes au village ont WhatsApp ou Facebook. Même si la manière pose problème
les nouvelles se transmettent dans la minute.", confie-t-elle
Babacar Gueye et Moustapha Coly, respectivement étudiants au département d'Anglais a l'Ucad et en Science économique et de gestion à l'Université virtuelle du Sénégal, évoquent la possibilité grâce au numérique d’une large diffusion de la triste nouvelle. Pour le premier, procéder de la sorte permet surtout d'informer les personnes perdues de vue. Pour le second, c’est un moyen de retrouver les personnes à qui le défunt doit de l'argent.
Mais ils sont nombreux à ne pas voir les choses de cette manière. Sur Snap Cote d’Ivoire, une jeune femme du nom de Christelle Sahué April se bat pour faire cesser ces annonces nécrologiques sur les réseaux sociaux. Dans une vidéo consacrée à QuickSnap elle parle de ses motivations :
" Imaginez que vous êtes à l’étranger et que vous apprenez le décès de votre mère sur le statut WhatsApp d’un ami de la famille.
Imaginez encore que vous êtes au travail, votre père vous appelle et vous demande de rentrer pour une urgence. Sur le chemin du retour, vous parcourez votre fil d'actualité Facebook et vous voyez qu'un ami du quartier a mis la photo de votre grand frère sur son profil Facebook. Étonnez-vous, parcourez les commentaires et réalisez que votre grand frère est décédé. Votre père voulait donc que vous rentriez à la maison pour vous annoncer la nouvelle en bonne et due forme."
"mots de Christelle Sahué april"
De tels cas de figure sont pourtant devenus habituels. A chaque annonce de décès, la communauté des internautes compatit car le passage de la grande faucheuse ne laisse personne de marbre. Des mots émouvants qui font verser la petite larme, des textes qui témoignent des qualités du défunt pleuvent sur les murs et journaux virtuels.
La mort, popularisée, se banalise. La petite caméra s’insère dans l’intimité des funérailles. Personne n’échappe à la règle. Célébrités ou inconnus, tout le monde passe par le capteur. Pour un rendu plus attrayant, l’œil virtuel passe en revue toutes les circonstances aussi atroces qu’elles puissent être. Aucun détail n’est laissé: accidents, meurtres, maladies, infarctus crise cardiaque... La notion d’« affaire privée » n’a vraisemblablement plus lieu d’être. Sur Facebook ou WhatsApp, la publication d’images ou de vidéos de personnes mortes est instantanée mais surtout froide dans l’exécution. Mais que cherchent donc les auteurs derrière ces actes devenus si communs. Est-ce pour informer, pour attirer l’attention, la sympathie ? Y a-t-il une conscience des conséquences que ces actes peuvent entraîner ?
Qu'en dit le droit
En 2008 deux lois ont été créées au Sénégal, l'une portant sur la cybercriminalité qui sanctionne les atteintes au droit à l'image impliquant les technologies de l'information. Elles peuvent faire l’objet d’une condamnation pénale ou une condamnation au versement de dommages et intérêts. L’autre loi porte sur la protection des données à caractères personnelles. Les deux (lois) encadrent le droit à l'image mais aussi la vie privée des personnes sur les réseaux numériques. Dès l'instant qu'une personne est décédée ou a un accident, nul n'a le droit de publier sa photo sans autorisation. D'ailleurs, le simple fait de prendre une photo ou une vidéo sans accord de la personne constitue un délit.
Aujourd'hui même si beaucoup de personnes se plaignent de la manière dont les photos de leurs proches décédés inondent les réseaux sociaux, aucune loi évoquant spécifiquement cette situation n'existe pour le moment.
Indépendamment de la volonté ou de la bonne intention, l’universalité et la rapidité de l’information sur les réseaux sociaux sont devenues très problématiques. Les personnes qui prennent l’initiative de publier ou de partager une nouvelle dans la minute qui suit ne laissent pas le temps à certaines familles éplorées de prévenir l’entourage. Apprendre une triste nouvelle d'une manière aussi brutale peut provoquer des moments de chocs et perturber certaines personnes. Alors il est plus que nécessaire de se pencher sur la question de la nécrologie sur les réseaux sociaux afin de revoir la manière dont certains contenus sont relayés.
Bravo pour cet article
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